Cette semaine j’ai regardé le podcast backstage du Stream au show bilingue animé par Mike Ward. Installé dans une loge ou
plutôt un spa avec pas d’eau, Yan Thériault y est allé de prouesses techniques impressionnantes faisant office de
suivi, à celles déjà faites dans son show sur la route. Si bien que malgré la
petitesse de l’endroit, les invités avaient pratiquement l’air à l’aise. Le
gala était une première coproduction entre Juste pour rire et son homologue
anglophone Just for laughs.
À show bilingue, podcast bilingue, l’animation a été donnée
cette fois à Judes Dickey, un comique douteux et parfaitement bilingue de
surcroit, le candidat parfait ! Yan Thériault faisait une foi de plus office de
maitre de la technique/animateur Danyturcottish. Le duo a fait une animation qui cadrait
extrêmement bien dans le style, quelque chose de très relaxe, informel. Ils ont
reçu Eric Lampaert, un humoriste globetrotter né en France mais résident
maintenant à Londres. Un bilingue à l’européenne, accent français et british.
Aussi, sont venu les anglophones ayant switché au français Mike Patterson, Abdul
Butt et Joey Elias. Du côté francophone,
Jean-Thomas Jobin est venu s’asseoir dans le lounge de fortune du show. Il y a
même eu le patron Gilbert Rozon qui a fait une brève apparition à la fin.
D’entrée de jeu, pour rendre les invités à l’aise, Judes et
Yan ont fait un travail de maître. Asseoir des humoristes dans 5 pieds par 5
pieds pour leur poser des questions tout de suite avant ou après une
prestation, faut le talent ! Les invités ont défilé à un roulement très bien,
les conversations sur les débuts en humour, leurs débuts en humour en seconde
langue étaient très intéressantes. Les animateurs ont même réussi à ploguer des
running gags comme Judes qui découvre la porn de femmes enceinte et la fameuse
nouvelle drogue de l’amour : le pretzel dust ! Bref, la chimie était là et
Judes comme régulier sur le Stream, ça serait magique !
Cependant, plus le show avançait, plus une impression me
venait à l’esprit. Je me disais : « Câlique, c’est juste les francos
qui se forcent le cul à parler l’autre langue dans ce show là ! » Je me
disais que sans que personne ne force personne, le tout dans la paix et le plus
grand des naturels, quand on demande à des anglos et des francos de parler les
deux langues, les francos le font, et les anglos : fuck all ! Je m’en
allais même écrire mon article tout de suite après le show et je me suis
dit : « Non Max, pas une bonne idée. Vérifie tes affaires un peu
avant de dire des conneries. » Quelle belle expérience scientifique pareil
! Dans le show sur scène, on a demandé de switcher de langue durant les
numéros, et sans avoir vu le show sur scène, je suis persuadé que ça a été fait
à la lettre. Quand c’est préparé des mois à l’avance, je n’ai aucune difficulté
à croire qu’un exercice de bilinguisme fonctionne. Mais, au naturel, quand les
rideaux sont fermées, comment ça se déroule ? C’est ce que le show backstage
donnait comme observation. Suite à mon
impression que je voulais vérifier, j’ai attendu que le Stream sorte en version
podcast et j’ai regardé le show sous un autre angle. J’ai regardé le show sous un angle totalement
froid, les animateurs et invités si funny et intéressants deviennent à présent
des sujets. Je ne regarde plus le Stream, mais Langue Story. Je suis fou de
même, mais pour vérifier mon impression, il fallait que je le fasse. J’ai
compté le nombre de répliques dans chaque langue de chaque personne sur le
show. Les conclusions que j’en tire c’est que lorsque quelqu’un est
parfaitement bilingue, c'est-à-dire également à l’aise dans les deux langues
(voir ici, Judes Dickey, Mike Ward et Eric Lampaert), le bilinguisme est juste
totalement naturel donc pour ce show ils ont parlé carrément 50/50. Là où ça devient intéressant, c’est quand le
sujet a une langue dans laquelle il est clairement plus à l’aise que l’autre et
que le switch d’une langue à l’autre demande de sortir un peu de sa zone de
confort. Chez les francrophones (voir ici, Yan Thériault et Jean-Thomas Jobin),
ça a tourné autour de 2/3 français, 1/3 anglais, ce qui est somme toute bien
lorsqu’on te demande de parler une langue clairement seconde. Ai-je les mêmes résultats pour nos amis
anglophones ? Mon impression me disait : « Messemble qu’ils ont dit 3
mots de français chacun, c’est n’importe quoi ! » Ils n’ont pas dit 3 mots. En toute justice,
ils ont scoré plus haut que ce que je croyais, mais … plus bas que les francos.
Les anglos du show (Abdul Butt, Mike Patterson et Joey Elias) ont parlé entre
15 et 20 % de français dans leur entrevue « bilingue ». Et tout ça s’est fait de manière naturelle,
dans la paix interlinguistique, même dans une célébration du bilinguisme
« so to speak ! ». Et savez-vous
quoi ? C’est normal ! Les francophones sont peut-être majoritaires au Québec,
mais en Amérique du Nord, ils sont loin de l’être. D’où l’importance pour nous
à la fois d’être bilingue et de protéger notre langue commune. À l’inverse, les
anglos sont minoritaires au Québec, mais dans le « big picture », ils
sont majoritaires. L’intérêt d’apprendre le français est donc beaucoup moins
alléchant. Ce n’est pas de la volonté d’assimilation nécessairement, c’est
juste des mathématiques. Dans le cas de ce stream, il ne s’agit que d’un
microcosme, d’une observation sur un petit nombre de personnes. Mais, est-ce qu’on peut avoir peur qu’avec un
laisser-aller sur la protection du français, le Québec devienne un endroit où,
comme dans ce show, les francos pratiquent leur anglais, et que les anglos les
regardent faire ? Est-ce que le concept de langue commune est dépassé, et donne
une société aussi plate que ce que Gilbert Rozon affirme à la fin du Stream ?